
À Berlin aussi on a célébré les 25 ans du programme Goldschmidt
Sous un grand soleil et avec une vue imprenable sur le lac de Wannsee, les conditions étaient idéales au Literarisches Colloquium de Berlin (LCB) pour célébrer le programme Goldschmidt. Soutenant les jeunes traducteurs et traductrices littéraires germanophones et francophones, il est organisé par France Livre en partenariat avec l’Office franco-allemand pour la Jeunesse, la Foire du livre de Francfort, la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia et, depuis cette année, le ministère des Affaires européennes et internationales d’Autriche. Depuis 2007, l’écrivain et traducteur Georges-Arthur Goldschmidt en est le parrain – un grand honneur et une belle reconnaissance pour ce programme.
Thorsten Dönges (LCB) avec Juliette Aubert Affholder-Bonné et Andreas Jandl, anciens mentors du programme
En 25 ans, près de 250 participants ont pu en bénéficier, et ils étaient nombreux à Berlin pour échanger leurs souvenirs, revenir sur leurs parcours et discuter des défis auxquels les traducteurs doivent faire face aujourd’hui. Trois tables rondes centrées sur la traduction littéraire ont été suivies d’une rencontre entre l’autrice francophone Raphaëlle Red et sa traductrice allemande Patricia Klobusiczky. Toutes deux récompensées cette année par le Prix Première.
Devenues amies : Raphaëlle Red et sa traductrice allemande Patricia Klobusiczky
Pour France Livre, ce jubilé est l’occasion de faire un retour personnel sur l’histoire du programme tout en se projetant vers l’avenir, aux côtés de ses partenaires de longue date : Niki Théron, ancienne participante et organisatrice à la Foire du livre de Francfort, et Aurélia Maillard Despont, spécialiste littérature et responsable du programme à Pro Helvetia.
Niki Théron (Foire du livre de Francfort) et Aurélia Maillard Despont (Pro Helvetia)
France Livre : Niki, tu as participé au programme en 2004. Quels souvenirs en gardes-tu ?
Niki Théron : "Le souvenir d’une parenthèse enchantée : travailler, échanger, voyager avec des collègues traductrices et traducteurs, rencontrer des professionnels du livre des deux pays (à l’époque le programme n’était que binational) est un enrichissement inouï."
France Livre : Aurélia et Niki, durant les festivités au LCB, nous avons entendu plusieurs citations de Georges-Arthur Goldschmidt, sur son métier de traducteur littéraire. Y a-t-il une citation qui vous a particulièrement marquées ?
Niki Théron : "Oui, je ne la connais qu’en allemand mais en français, elle donnerait à peu près ceci : 'On traduit toujours pour atteindre une chose impossible mais désirable : le bruit des vagues au sommet du Mont Cervin.' Cette citation est très poétique et je trouve qu’elle décrit bien le défi lié à toute traduction – on pourrait résumer ce défi par une autre citation qui plairait sans doute à Georges-Arthur Goldschmidt : 'Soyons réalistes, demandons l’impossible.'"
Aurélia Maillard Despont : "Ce qui était intéressant, c’était de les entendre débattues par de jeunes traductrices et traducteurs, qui ont su s’en emparer avec beaucoup de respect et autant d’humour, et qui ont pu – sans tomber dans le piège de la citation ̏hors sol˝ – formuler leur propre vision, sinon leur propre vécu, avec nuance et justesse."
France Livre : Dans son discours de bienvenue à Berlin, Juergen Boos, directeur de la Foire du livre de Francfort, a porté un toast aux 25 prochaines années du programme. Comment envisagez-vous l’avenir du programme Goldschmidt ? Et celui de la traduction littéraire ?
Niki Théron : "L’avenir de la traduction littéraire est plus qu’incertain avec l’entrée en scène de l’intelligence artificielle et de grands acteurs technologiques ne respectant pas les règles du jeu en termes de droits d’auteur. Mais les associations de traducteurs littéraires sont vigilantes et actives au niveau national et européen, le CEATL – Conseil Européen des Associations de Traducteurs Littéraires – a publié à ce sujet une Déclaration sur l’intelligence artificielle absolument limpide. Personnellement, je suis convaincue que l’accès aux textes protégés par le droit d’auteur doit à tout prix être régulé et que l’avenir réside dans une interaction raisonnée entre humain et machine. La lutte continue ! Quant à l’avenir du programme, nous sommes une équipe de partenaires soudée et enthousiaste, et le programme n’a jamais été interrompu en 25 ans, pas même au cœur de la pandémie, grâce au soutien de l’OFAJ. À Paris et à Francfort, l’équipe se renouvelle avec une nouvelle génération de collègues en charge du projet. Et Georges-Arthur Goldschmidt, à bientôt 100 ans, nous renouvelle son soutien à chaque occasion, ce qui nous honore. Le programme a donc de beaux jours devant lui ! "
Aurélia Maillard Despont : "Le programme est destiné à se perpétuer, assurément ! Tout en s’adaptant toutefois. Des mutations sont d’ailleurs en cours, visant à le faire évoluer en réponse aux réalités d’un marché, du métier mais également aux attentes des nouvelles générations de traductrices et traducteurs. Quant à la traduction littéraire, elle est résiliente par nature ! Pour ceux qui la pratiquent, elle relève souvent d’un impératif. À ce titre, elle a une longue vie devant elle. Elle devra bien sûr composer avec les évolutions technologiques rapides, mais trouvera sa place, là où se loge l’autre dans son irréductible différence, à la rencontre toujours renouvelée d’une œuvre, d’une voix. "
France Livre : Après la France et l’Allemagne, le programme s’est ouvert à la Suisse en 2012 et à l’Autriche en 2025. Est-il prévu de l’étendre davantage vers d’autres espaces franco- et/ou germanophones ?
Niki Théron : "Oui, nous échangeons depuis un certain temps avec nos collègues de Bruxelles et serions très heureuses d’élargir bientôt le programme à la Belgique."
Aurélia Maillard Despont : "Le maintien d’un échange vivant entre les langues et les cultures étant l’un des objectifs majeurs du programme, l’envie d’ouverture est partagée par l’ensemble des partenaires."
France Livre : Aurélia, le programme comprend également une étape en Suisse, avec des rencontres à Zurich, Genève et Lausanne, ce qui est grandement apprécié par les participants. Quel rôle joue le programme Goldschmidt dans ton travail et pour Pro Helvetia ?
Aurélia Maillard Despont : "Depuis quelques années en effet, nous avons le plaisir d’organiser une semaine de rencontres éditoriales et littéraires entre la Suisse allemande et la Suisse romande. Des maisons d’édition ouvertes à la traduction littéraire reçoivent les jeunes traductrices et traducteurs, leur présentent leur catalogue – en mettant l’accent sur des œuvres suisses susceptibles d’être traduites dans l’autre langue – , et s’intéressent à leur parcours et projets de traduction. C’est une semaine d’une rare intensité, où se jouent des découvertes décisives et se nouent des relations durables. Pour la Fondation, le programme fait figure de modèle, promouvant la traduction littéraire par le biais de la relève, en offrant chaque année la possibilité à de jeunes traducteurs et traductrices suisses de s’inscrire dans une volée de futurs professionnels prometteurs et passionnés. L’encadrement dont ils bénéficient, l’expérience qu’ils engrangent et les réseaux qu’ils tissent ont une valeur inestimable au début de leur carrière."
France Livre : Au fil des ans, vous avez toutes les deux rencontré de nombreux jeunes traducteurs et traductrices. Que retenez-vous de ces rencontres et qu’avez-vous appris de ces jeunes professionnels ?
Niki Théron : "Georges-Arthur Goldschmidt répète à l’envi qu’il était ̏une poule de luxe de la traduction˝, car il avait la chance d’avoir des revenus fixes grâce à son métier d’enseignant. Ce que je retiens des jeunes traducteurs et traductrices que j’ai pu côtoyer dans le cadre du programme ces vingt dernières années, c’est leur courage et leur créativité. Le courage de choisir un métier de passion, précaire, ardu et solitaire. La créativité dans leur rapport à la langue et aux langues, mais aussi à la vie."
Aurélia Maillard Despont : "Je retiens deux dénominateurs communs : la détermination et la passion – cette dernière surtout, cet extraordinaire moteur qui permet non seulement de franchir les barrières, mais aussi de les rendre franchissables pour d’autres. Une passion qui contribue à perpétuer un regard neuf sur les textes, les langues, et sur le monde."
Propos recueillis par Katja PETROVIC et Gina ARZDORF
©Photos: René Löffler / Frankfurter Buchmesse
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