C’était une première : le BIEF et l’Institut français ont réuni des éditrices et des traducteurs algériens à Paris
Un Fellowship nouvelle formule, reposant sur des duos éditeur-traducteur, c’est toute l’originalité de ce programme, initié par l’Institut français d'Algérie et dont la mise en œuvre a été confiée au BIEF. En dépit d’un contexte compliqué dans les relations franco-algériennes, mettant à mal la sensibilité des participants, le programme a donné lieu à de nombreux échanges où l’on a d’abord et surtout parlé de textes à traduire et des auteurs à faire découvrir.
Des échanges fructueux entre les fellows et Sabine Wespieser
C’est aussi le mérite de ces duos : la présence des traducteurs aux côtés des éditrices a renforcé et dynamisé les échanges. Les traducteurs connaissent les catalogues des maisons d’édition françaises, ils y ont décelé, parfois de longue date, les textes à traduire et font pour le compte des maisons d’édition algériennes un travail de défrichage et de repérage. Les différents rendez-vous au cours de la semaine, chez Actes Sud, Albin Michel, Gallimard, mais aussi Présence Africaine ou Sabine Wespieser ont illustré cette complicité des participants avec les catalogues des maisons d’édition françaises.
Stéphane Durand et Emilie Colombani (Actes Sud) attentifs aux nouvelles tendances éditoriales en Algérie
Ils ont pu également constater avec bonheur une attention neuve de la part des responsables éditoriaux français pour les catalogues des maisons d’édition algériennes. Pour les participants algériens, la place des auteurs francophones dans le paysage éditorial français et leur succès en librairie peuvent expliquer ce regard plus attentif des maisons françaises sur les catalogues algériens. Mais il y a aussi l’intérêt constaté pour de nouvelles tendances, comme le succès du polar en Algérie, dont il a été question au cours des échanges avec Actes Sud. Ou encore, les thématiques sur la place des femmes dans les sociétés arabes et le succès des livres sur les grandes figures féminines, à l’image de la biographie de Gisèle Halimi.
Table ronde : "Ecrire et publier en français sur les mondes arabes"
Si le programme a fait la part belle aux rencontres chez les éditeurs français, il a permis aussi aux participants d’établir des contacts avec d’autres acteurs incontournables de la scène littéraire arabe à Paris. À l’INALCO, éditeurs et traducteurs ont pu échanger avec de jeunes traducteurs en langue arabe venus présenter leur projet de traduction et faire entendre de nouvelles voix, entre monde francophone et langue arabe.
Visite de la librairie à l'Institut du monde arabe
À l’Institut du monde arabe, où les deux Fellowships étaient réunis (Fellowship franco-algérien et Fellowship des éditeurs des mondes arabes), c’est toute la richesse de la production éditoriale dans le monde arabe qui s’est donnée à voir à travers notamment la visite de la librairie. Et où les éditeurs comme les traducteurs ont pu retrouver à loisir leurs auteurs de prédilection.
Pierre MYSZKOWSKI
Paroles d'éditeurs
Djellal Eddine Semaane, traducteur du français vers l'arabe
Djellal Eddine Semaane enseigne la littérature française à Sétif en Algérie et se passionne pour la traduction. Auteur primé, il publiera bientôt un recueil chez Dar Samar, où il a déjà traduit De l'homme à Dieu, voyage au cours de la littérature et de la philosophie. Depuis 2022, il traduit du français vers l’arabe, une langue qu’il chérit particulièrement.
Djellal Eddine Semaane
"Je traduis principalement du français vers l’arabe, une langue que j’adore, particulièrement pour sa poésie. La traduction vers l’arabe soulève de nombreux défis. Parfois, un seul mot en français nécessite deux ou trois mots en arabe. Figurez-vous que cela fait un an que je cherche à traduire un mot ! J’ai commencé la traduction de Là, avait dit Bahi de Sylvain Prudhomme et je bute sur le verbe "débouler" qui revient souvent et je cherche encore l’équivalent exact qui produirait le même effet. Je suis encore relativement nouveau dans la traduction. C’est en 2022 que j’ai décidé de m’orienter dans cette voie grâce au programme Livre des deux rives. J’ai eu la chance d’être sélectionné pour un atelier en Tunisie, puis pour un autre à Arles. D’ailleurs l’atelier portait bien son nom : Vice-Versa. Il y avait cinq traducteurs de l’arabe vers le français et cinq du français vers l’arabe. Lorsqu’on traduit, on reçoit souvent des remarques précieuses des traducteurs travaillant dans l’autre sens.
Participer à ce Fellowship franco-algérien en présence d’éditeurs m’a également beaucoup aidé à comprendre leur travail et je rentre avec plein d’idées et de projets concrets : lors d’une rencontre avec Actes Sud, j’ai découvert le roman La Caravanière d’Alissa Descotes-Toyosaki - c’est le récit de voyage d’une Franco-Japonaise au Niger. Ce livre m’intéresse particulièrement car nous préparons une collection sur la littérature d’Afrique subsaharienne. À l’INALCO, j’ai rencontré un jeune traducteur travaillant sur un texte d’un écrivain nigérien que nous souhaitons publier. La littérature francophone du Niger est quasi inconnue en Algérie. Pourtant, l’arabe est une langue officielle au Niger. Autre projet concret grâce à un rendez-vous individuel dont j’ai pu bénéficier chez Minuit : nous allons discuter de la traduction du dernier roman de Sylvain Prudhomme, Coyote, qui traite de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Avec le retour de Trump, ce texte peut fortement intéresser le lectorat arabophone. Nous envisageons même une coédition en Algérie et en France."
Yasmina Belkacem, éditrice aux éditions Chihab
Yasmina Belkacem travaille chez Chihab, l'une des principales maisons d’édition algériennes qui publie en arabe et en français. Bien que connaissant déjà le marché du livre français, ce Fellowship lui a permis de découvrir de nouvelles maisons et de rencontrer ses collègues français sous un autre angle, grâce aux échanges non seulement entre éditeurs, mais aussi avec les traducteurs.
Yasmina Belkacem
"Ce programme était très intense et intéressant. J’ai l'habitude de venir au Festival du livre à Paris, mais ce programme m’a permis de rencontrer également des maisons indépendantes qui sont très ouvertes, comme Sabine Wespieser. Cette rencontre a été pour moi l’un des moments forts de cette semaine. En général, j’avais l'impression que les éditeurs français n’étaient pas seulement force de proposition pour vendre leurs titres, mais qu'il y avait aussi un réel intérêt pour nos catalogues et les auteurs du Maghreb. La particularité de ce Fellowship était que, pour la première fois, nous avons été invités en tandem, éditeur-traducteur, et c'est une très bonne formule, car cela nous a permis d'échanger et de nous concerter sur les projets éditoriaux que nous allons retenir. Il y en a déjà un qui s’est concrétisé pendant le Fellowship avec les éditions de la Découverte. Il s’agit d'Algérie 1962 - Une histoire populaire de Malika Rahal que nous souhaitons traduire en arabe. Le choix s’est fait à deux avec Lina Leyla Abdelaziz (traductrice) qui s’est rendue à Paris avec moi dans le cadre de ce Fellowship.
J’ai également beaucoup apprécié les belles propositions de traduction faites à l’INALCO par les jeunes traducteurs dont on sentait l’enthousiasme pour porter les textes et défendre leurs choix. Il y en avait deux sur le thème de l’identité et de la migration qui peuvent intéresser certains de mes collègues éditeurs en Algérie. C’est intéressant de réfléchir à toutes ces questions de langue. Est-ce qu’un auteur écrit dans sa langue maternelle ou pas, en français ou en arabe, pour aborder des questions souvent douloureuses liées, par exemple, à l’histoire du Liban ou de l’Algérie ? Il s’agit souvent de mémoire et du retour du refoulé. Toutes ces questions-là sont passionnantes et, comme nous étions en tandem éditrice-traductrice, nous avons beaucoup réfléchi sur le passage d'une langue à une autre."
Propos recueillis par Katja PETROVIC