Salon du livre de Vilnius : à la découverte de l’édition lituanienne

Compte rendu

mars 2025

Dans la lignée des actions menées en Hongrie, en Roumanie ou en Serbie, cette participation à la Foire du Livre de Vilnius s’inscrivait dans une démarche de prospection, offrant aux éditeurs français une opportunité précieuse de rencontrer leurs homologues lituaniens et d’élargir leur réseau.

Si la Lituanie représente un petit marché en termes de volume, elle n’en demeure pas moins une locomotive dans le domaine de l’édition parmi les pays baltes. Avec ses 592 000 habitants, Vilnius est la plus grande ville de la région et un centre universitaire et culturel dynamique. 


Pourtant, les échanges de droits avec la France restent limités : 20 cessions en 2023, dont 9 en fiction, 6 en sciences humaines et sociales et 5 coéditions en jeunesse. Un chiffre en baisse par rapport à l’avant-Covid, avec 52 droits vendus en 2018, dont 21 en fiction et 16 en jeunesse. Le pays ne possède pas la même tradition francophile que d’autres nations d’Europe du Sud-Est. Cependant, la présence d’un lycée français et l’action engagée de l’Institut français de Lituanie contribuent à maintenir un intérêt pour la langue et la culture françaises.



Le hall 1 du salon, destiné aux publications pour adultes


Le stand du BIEF, coorganisé avec l’Institut français de Lituanie, a permis de présenter 700 titres récents, couvrant notamment la littérature, la bande dessinée et le livre jeunesse. Cette offre complétait celle de Zara, la librairie française de Vilnius, qui fait également de l’édition. Quatre professionnels du livre français – Francys Zambrano, responsable des droits chez Stock, Aurore Touya, éditrice de littérature étrangère chez Gallimard, et Anne Assous, directrice de Folio – ont fait le déplacement dans le cadre du programme Fellowship organisé par l’Institut culturel lituanien. L’édition 2025 de ce programme a réuni un nombre plus important de participants français en raison de la Saison de la Lituanie en France. Laura Karayotov, directrice de Lester Agency, qui représente les éditeurs français en Europe de l’Est, était également présente pour développer son réseau de partenaires.



Sur le stand du BIEF, le coin jeunesse attire petits et grands lecteurs lituaniens


Très fréquentée par les éditeurs locaux, la Foire du Livre de Vilnius constitue un moment clé pour leur chiffre d’affaires annuel, grâce aux ventes directes au public, qui se déplace en nombre. Pour les éditeurs étrangers, c’est une plateforme efficace pour nouer des contacts et faire de la prospection. "Les éditeurs lituaniens sont très ouverts et disponibles, notamment pendant les deux premières journées de la foire, même si le salon demeure peu international", remarque Laurence Risson, cheffe de projet au BIEF.



Katja PETROVIC et Laurence RISSON




Paroles des professionnels


Laura Karayotov, directrice de Lester Agency


Depuis 2022, Laura Karayotov dirige l'agence Lester, spécialisée sur les pays de l’Est qui représente plus de 70 maisons d'édition, appartenant à des groupes comme Hachette ou Editis et leurs labels, ainsi que des éditeurs indépendants.



Laura Karayotov

"La foire de Vilnius se tient dans un bâtiment récent, assez éloigné de la ville, nécessitant de s’y rendre en taxi ou en transports en commun. Cependant, le nombre de visiteurs constaté jeudi et vendredi était très conséquent.

Elle compte trois halls : un principal, accueillant les grandes maisons d’édition ; un second, dédié à la jeunesse ; et un troisième, plutôt axé sur le domaine académique et les institutions (y compris l’armée). Les allées sont larges, les emplacements clairs, et les stands bien identifiés. Les éditeurs présents sont dynamiques, à l’écoute et accueillants. Depuis une dizaine d’années, un salon de musique, regroupant labels et maisons de disques, se tient dans le bâtiment adjacent, attirant ainsi un public jeune qui navigue entre livres et musique. Le pôle jeunesse, où se situait d’ailleurs le stand du BIEF, était particulièrement actif, avec de nombreux scolaires et familles en visite. Un soin particulier était apporté à l’organisation d’activités, de lectures, de rencontres, ainsi que d’ateliers de bricolage et de loisirs créatifs destinés aux enfants.


J’ai pu effectuer une bonne douzaine de rendez-vous, principalement avec des éditeurs lituaniens. Cependant, certains Lettons font également le déplacement chaque année, la Lituanie étant le marché balte le plus dynamique et le plus conséquent. Du point de vue des pays baltes voisins, l’édition en Lituanie est bien développée, diversifiée et stable. J’ai également fait de belles découvertes parmi de petites maisons d’édition qui ne participent pas aux foires internationales, et dont le catalogue est très pointu, comme Pflaŭmbaŭm, une maison bélarusse féministe basée à Vilnius.


En ce qui concerne les publications, les maisons d’édition présentent des profils assez similaires et concurrentiels, avec des secteurs fiction et non-fiction bien définis. Si elles recherchent des best-sellers, cela ne les empêche pas d’oser des propositions plus audacieuses. Comme me le rappellent souvent les éditeurs lituaniens, le marché étant petit, leur budget reste pratiquement le même pour un titre commercial ou très littéraire. Ainsi, pour l’achat de droits, ils 'osent' parfois davantage que sur des marchés plus vastes, comme celui de la Pologne. J’ai pu constater sur place l’absence de certains genres, encore peu développés pour des raisons culturelles et historiques : la bande dessinée, le roman graphique et le manga. En revanche, dans le domaine de la jeunesse, au-delà des albums et documentaires, les livres sonores et interactifs connaissent un essor important. Tous secteurs confondus, une créativité graphique remarquable se manifeste dans les maquettes et les couvertures, tandis que la qualité de fabrication est particulièrement soignée. Cela s’explique sans doute par la présence de nombreuses imprimeries de haute qualité dans le pays.


Le contexte géopolitique se ressent fortement et influence l’ambiance générale. Le drapeau ukrainien est omniprésent dans toute la ville. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un fervent soutien s’est manifesté de la part des Lituaniens, qui se sentent en première ligne face à la menace d’un conflit pouvant s’étendre. À l’entrée du bâtiment principal, un stand était dédié au soutien à l’Ukraine. Par ailleurs, certains éditeurs présentaient l’Ukraine comme un véritable "genre éditorial", avec des publications en littérature jeunesse, livres pratiques, essais et romans. Cette abondante production éditoriale, apparue depuis trois ans, met en lumière les auteurs, poètes et artistes ukrainiens, ainsi que le patrimoine culturel du pays, afin de le faire découvrir au plus grand nombre et de soutenir la population ukrainienne. Il est évident que ce contexte constitue un paramètre essentiel pour comprendre les préoccupations de cette région d’Europe, sans doute pour longtemps.


Nombre de mes échanges ont d’ailleurs porté sur ce sujet. Les éditeurs doivent adapter leurs stratégies pour fidéliser leurs lecteurs, alors que le pouvoir d’achat est en baisse, comme partout, et que les familles privilégient désormais leurs dépenses pour "le stockage de boîtes de conserve" (selon les mots d’une éditrice très sérieuse). En tant qu’agente spécialisée sur les pays de l’Est et suivant de près ce conflit depuis ses débuts, je dois admettre que c’est la première fois que j’en ressens avec une telle intensité l’impact et les potentielles conséquences sur l’avenir. La proximité géographique joue un rôle, mais aussi la teneur des conversations avec mes partenaires professionnels, qui se concluent souvent par : 'Nous risquons d’être les prochains.' Ce déplacement prouve une fois de plus combien il est essentiel d’aller à la rencontre des éditeurs étrangers, afin de travailler avec eux avec tact et intelligence."



Propos recueillis par Laurence RISSON