
Plus de 200 rendez-vous lors des rencontres hybrides franco-brésiliennes
Après des échanges au Vietnam en 2023, c’était la deuxième fois que France Livre organisait des rencontres professionnelles dans ce format ; avec des rendez-vous sur place à São Paulo, au Centre de Recherche et de Formation du Sesc, et avec des rendez-vous en ligne.
Une délégation de cinq professionnels français, composée de Sylvain Coissard (Gallimard BD, Sarbacane BD), Julia Balcells Roca (Delcourt), Julia Skorcz (Glénat), Ella Bartlett (Les Arènes) et Alice Rocca (Médiatoon Foreign Rights), s’est rendue au Brésil au contact de près de 50 éditeurs brésiliens mobilisés à l’occasion de ces rencontres. L’agente brésilienne Vitória Zavattieri, qui représentait les Éditions du Ricochet, s’est également jointe à eux sur place, parallèlement à une quinzaine d’éditeurs français qui ont pu profiter de l’évènement à distance.
Une partie de la délégation française en visite de la livraria da Travessa
Au total, 48 maisons d’édition et marques françaises étaient représentées, avec plus de 200 rendez-vous pris sur deux jours. Ce format hybride a fait ses preuves et pourrait servir de modèle pour de futures rencontres, notamment dans des pays éloignés, afin de réduire les coûts et l’impact écologique des voyages.
"Contrairement aux rencontres virtuelles, ce format a très bien fonctionné car il reposait sur un rassemblement. Nous avons pu capitaliser sur la présence physique d’éditeurs français pour mobiliser les éditeurs brésiliens et, ainsi, proposer à ceux qui ne pouvaient pas se déplacer de participer depuis chez eux", explique Laurence Risson, cheffe de projet chez France Livre. Chaque éditeur, sur place comme en ligne, disposait d’une sélection de quinze titres "permettant de rendre plus concrètes les discussions", ajoute Laurence Risson.
La bonne humeur était au rendez-vous - également en ligne !
Destinées aux éditeurs de tous les secteurs, ces rencontres ont comporté deux volets : un premier consacré à la bande dessinée et un second volet généraliste. Une table ronde sur le marché de la bande dessinée en France et au Brésil a réuni Sylvain Coissard, Rogério de Campos (Veneta) et Laurence Risson (France Livre). Suivie d’une séance de dédicaces avec les auteurs de BD français Clara Chotil et Matthias Lehmann, cette table ronde a d’abord souligné la frustration des éditeurs brésiliens par rapport à un lectorat encore très influencé par les comics américains ou les personnages phares de l’édition jeunesse brésilienne, notamment La Bande à Mônica, créée dans les années 1960 par Mauricio de Sousa.
Julia Balcells Roca (Delcourt) en rendez-vous dans "son bureau" au Sesc
La production de bande dessinée au Brésil est pourtant élaborée et très diverse, tant dans le style graphique que dans les tranches d’âge, mais elle semble encore considérée comme un sous-genre, preuve en est que les statistiques de la Chambre brésilienne du livre ne la référencent pas. Malgré cette offre de qualité, la demande reste donc faible et le marché limité, peut-être aussi en raison du prix élevé pour le Brésil (15 euros et plus). Le lendemain, une deuxième table ronde a été consacrée aux marchés du livre en France et au Brésil, présentés par Sevani Matos (présidente de la Chambre brésilienne du livre) et Laurence Risson.
Après une période d’instabilité économique et politique, le secteur de l’édition au Brésil a retrouvé un certain dynamisme, caractérisé par une croissance d’environ 4 %, une production prolifique et une ouverture croissante à la diversité culturelle. Ce dynamisme est également soutenu par un grand nombre de maisons d’édition indépendantes, souvent de petite ou moyenne taille, dont le positionnement est favorable aux traductions, notamment du français. La nomination par l’UNESCO de Rio de Janeiro comme Capitale mondiale du livre 2025 souligne l’importance que les pouvoirs publics brésiliens accordent à nouveau au livre et à la lecture.
La livraria Loja Monstra à São Paulo
Un autre sujet majeur de ces rencontres a été la loi Cortez qui vise à limiter à hauteur de 10 % la remise sur le prix d’un livre dans les 12 mois suivant son lancement. Inspiré de la loi Lang, ce projet de loi a pour objectif de mettre un terme à la concurrence prédatrice des géants virtuels tel Amazon, qui pratiquent des remises supérieures à ce qui est économiquement viable pour les librairies indépendantes. La proposition – qui est en cours d’examen au Congrès depuis 2015 et attend aujourd’hui l’analyse de la Chambre des députés – vise à protéger les librairies, mais laisse aussi des doutes parmi les lecteurs et certaines maisons d’édition puisque de nombreux éditeurs vendent directement sur cette plateforme.
L’Association nationale des libraires et la Chambre brésilienne du livre avancent donc main dans la main et s’attachent à défendre ce projet en prenant l’exemple français et en soulignant le nombre de librairies dans l’hexagone ; mais il est long le temps d’évangéliser un si grand pays…
Katja PETROVIC, Laurence RISSON
Paroles de professionnels
Julia Balcells Roca, responsable des droits chez Delcourt
Julia Balcells Roca
"La rencontre s’est très bien passée, dans les locaux impressionnants du Sesc à São Paulo. L’organisation était impeccable : beaucoup d’éditeurs brésiliens étaient présents, les espaces dont nous disposions étaient confortables, les horaires respectés, le matériel à disposition utile et accessible. Le format hybride me semble une solution très intéressante pourvu qu’il y ait une occasion spécifique, et que le nombre de participants entre la partie virtuelle et physique soit plus ou moins équilibré. J’ai pu rencontrer, au cours d’une grosse vingtaine de rendez-vous, des éditeurs de tous segments mais surtout BD et jeunesse, parmi lesquels de nouvelles personnes. En BD, les éditeurs s’intéressent à des formats et contenus différents en fonction de leur catalogue et de la taille de leur maison, bien sûr, mais globalement les grands noms restent porteurs, les sujets sociétaux interpellent (genre, écologie), le western franco-belge vit un petit moment favorable, et on sent aussi un intérêt pour la BD jeunesse ou YA, segment qui suscite aussi la curiosité des maisons spécialisées en jeunesse. Les plus jeunes maisons d’édition, à l’économie fragile et très dépendantes des plateformes de financement participatif ou préventes, publient davantage des livres brochés et de petit format, type comics. D’autres maisons, plus installées mais toujours victimes de l’implacabilité d’un marché très concurrentiel et des impositions de prix d’Amazon, jonglent entre la proposition de gros volumes (éditions intégrales ou de luxe) à bas prix, et des titres qui peuvent intéresser les programmes du gouvernement, ou jouent le pari du bel objet avec des goodies associés. Les coûts élevés de fabrication et du papier et la difficulté de vendre des livres chers à un public qui s’est habitué aux remises systématiques, restent un frein aux grosses paginations en couleur. Les conférences croisées - état du marché en France et état du marché au Brésil - ont été très intéressantes, animées par des questions des intervenants mais aussi du public et qui ont donné matière à réflexion, par exemple, le Brésil adoptera-t-il la loi Cortez ? Est-ce que des aides ou des programmes plus adaptés à la BD pourraient être envisagés par les Instituts français/CNL, au lieu des aides à la traduction dont l’enjeu est moins important ? En somme, ces rencontres ont été un moment précieux d’échange et de connaissance de nouvelles maisons, ainsi que de sensibilisation des singularités du paysage éditorial brésilien et ses défis."
Ella Bartlett, co-responsable des droits étrangers aux Éditions les Arènes
Ella Bartlett
"Je faisais partie de la petite délégation française d’éditeurs et d’éditrices qui s’est rendue au Brésil. J’avais 16 rendez-vous, la plupart avec des éditeurs de BD, mais également dans le secteur de la jeunesse et de la non-fiction. J’avais mon propre bureau au Sesc, où j’avais l’occasion de recevoir des éditeurs individuellement. C’était un cadre très professionnel et agréable ! Les sujets qui intéressent les éditeurs brésiliens concernent l’actualité aux États-Unis, le développement personnel, la diversité ainsi que les différentes expériences vécues. J’ai remarqué qu’il existe une grande réflexion autour de ces questions au Brésil actuellement. Les sujets liés au Japon ont également suscité beaucoup d’intérêt. Cependant, j’ai constaté que les Brésiliens souhaitent publier davantage d’auteurs et autrices locaux. Ces rencontres m’ont permis de découvrir de nombreux aspects du marché brésilien, notamment qu’il compte beaucoup moins de librairies qu’en France, par rapport à la taille du pays et de sa population. La plupart d’entre elles sont concentrées dans les grandes métropoles. Amazon a pris le dessus depuis le Covid. Il y a actuellement un mouvement pour introduire le prix unique du livre. Cela pourrait aider à lutter contre Amazon, mais cela pourrait également causer des problèmes aux petites maisons d’édition, car les petits tirages coûtent plus cher. "
Propos recueillis par Katja PETROVIC
PAYS