Penser ensemble l’avenir de la bibliodiversité francophone

Compte rendu

mai 2025

Organisées par France Livre en partenariat avec le CNL, ces journées ont permis aux participants venant de nombreux pays francophones ou non, comme la Thaïlande, la Colombie, le Bénin ou encore les États-Unis, de dialoguer avec les acteurs majeurs de la chaîne du livre en France : diffuseurs, éditeurs et représentants institutionnels. Neuf groupes de diffusion ont répondu à l’appel, chacun disposant d’un créneau de 40 minutes pour partager nouveautés éditoriales, coups de cœur littéraires et stratégies export.


Des échanges éditoriaux "à la carte" 


Plusieurs diffuseurs ont choisi de convier un éditeur de leur groupe qui a présenté son catalogue. Ainsi, Pollen Diffusion a mis à l’honneur l’édition jeunesse engagée, avec Caroline Fournier qui dirige la maison d’édition On ne compte pas pour du beurre et qui a exposé son catalogue axé sur l’inclusivité. 



Marie Ribet, directrice d'études et développement des ventes chez Dilisco


À l’invitation de Madrigall, Benoît Mouchard, directeur éditorial des éditions Casterman et historien de la BD, a livré un exposé passionnant, abordant l’univers de Tintin. Plus classique, Harmonia Mundi Livre a profité de la séquence pour détailler les temps forts des éditeurs diffusés par le groupe. Invitée par Dilisco, Charlène Guinoiseau-Ferré, directrice de Jouvence, est intervenue pour révéler Le Soir venu, nouveau label avec lequel la maison d’édition suisse, spécialisée dans le bien-être, souhaite se faire une place en littérature. 



Tintin toujours aussi aimé en France et dans le monde


Hachette Livre a permis aux libraires de découvrir en avant-première les nouveautés de la rentrée littéraire 2025 des éditions Stock par la voix de leur directeur Manuel Carcassonne. De son côté, Interforum a mis l’accent sur le secteur scolaire avec la présentation de CLE International, maison d'édition spécialisée dans le français langue étrangère (FLE), par Ruy Albarran. 


Le groupe BLDD (Belles Lettres Diffusion et Distribution) participait pour la première fois aux Journées LFE. Après avoir présenté son groupe de diffusion, particulièrement attaché à l'indépendance des éditeurs, Christophe d'Estais, directeur de la diffusion, a donné l’occasion à Nicolas Filicic, directeur des Belles Lettres, de présenter les collections phares et les titres pouvant intéresser les libraires francophones de l’étranger.


Un programme riche et éclectique  

 
Des auteurs sont également intervenus comme l’écrivaine Valentine Goby, l’invitée surprise du groupe Actes Sud. Anne-Sylvie Bameule, directrice des éditions Actes Sud, Jeanne Guyon, éditrice de Rivages/Noir, et Annie Eulry-Guyon, responsable export, étaient également présentes.


Les journées se sont achevées par une séquence inédite avec l’intervention ludique de Média Diffusion : pour célébrer les 10 ans de la maison, l’équipe des éditions jeunesse Little Urban a proposé une lecture dessinée d’un extrait d’Edgar et la malédiction du corbeau, lu par son auteure Séverine Gauthier et illustré en direct par Clément Lefèvre. L'œuvre ainsi créée a ensuite fait l’objet d’un tirage au sort et remise à une libraire chanceuse.


L’ample participation des libraires francophones témoigne du grand intérêt pour cette opportunité de rencontre directe avec les diffuseurs, les éditeurs, mais aussi les partenaires institutionnels comme le CNL, l’AILF, le ministère de la Culture ou encore la Centrale de l’édition. 



Edith Girard et Ondine Cotto du CNL ont dressé un bilan des actions de soutien en faveur des librairies francophones, soulignant le rôle crucial des libraires dans la diffusion du livre français. 

Isabelle Lemarchand et Maryline Noël de l’AILF ont notamment mis en lumière les temps forts du Festival de la francophonie à Paris. À cette occasion, l'AILF a installé une librairie francophone éphémère à la Gaîté lyrique pour permettre au public de découvrir des ouvrages d’éditeurs francophones encore jamais diffusés en France.


Un focus sur le Maroc


Le Maroc étant le pays invité d’honneur du Festival du livre de Paris 2025, un focus a été consacré à ce pays dont la scène littéraire est particulièrement vivante depuis quelques années. Samar Hoballah, présidente de l’Association des Libraires Indépendants du Maroc (ALIM) et responsable de la librairie Al Mouggar à Agadir, l’a souligné, en présentant son projet de plateforme collective pour les librairies marocaines.



Table ronde sur la formation des libraires francophones


Une autre table ronde, sur la question de la formation des libraires francophones à l’étranger, a permis de dresser un tableau des solutions proposées pour répondre aux multiples besoins de ce cursus : programmes proposés in situ, à l’initiative des associations de libraires, avec le soutien de partenaires comme l’AILF ou avec le concours de la structure animée par Agnès Debiage, webinaires organisés par l’AILF, formations mises en œuvre par l’École de la librairie, etc.


Les libraires francophones ont ainsi recueilli des pistes concrètes pour enrichir leurs rayons et leurs démarches. Plusieurs ont cependant partagé leurs inquiétudes concernant les contraintes logistiques actuelles : frais de transport, droits d’importation ou facturation compliquée. D’autres ont évoqué le risque de censure, notamment autour de livres jeunesse traitant des questions LGBTQI, très demandés sur le marché français.



Katrin BOETHLING, Pierre MYSZKOWSKI 



Paroles de professionnels 


Christophe d’Estais, directeur de la diffusion BLDD

 

Christophe d’Estais est directeur de la diffusion chez Belles Lettres Diffusion et Distribution (BLDD), en charge de 170 éditeurs indépendants, principalement français, mais aussi suisses, canadiens, belges et britanniques. C’était la première fois qu’il participait aux Journées LFE.



Christophe d'Estais


"Notre objectif est d’assurer la diffusion la plus large possible auprès de libraires motivés à soutenir nos catalogues. Nos ouvrages sont souvent pointus et nécessitent une lecture attentive pour pouvoir être bien vendus. Pour cela, nous avons besoin des libraires, et j’espère que cette courte présentation leur a donné envie de les découvrir.


En général, nous travaillons avec eux via des distributeurs : Dimedia au Canada, Servidis en Suisse, RMR en Tunisie ou encore DDP en Asie. Dans d’autres régions, nous collaborons directement depuis Paris. C’est pourquoi je connaissais déjà personnellement un certain nombre de libraires francophones. Mais ici, au CNL, c’est une vraie opportunité de nous faire connaître davantage, surtout que nous sommes une structure de petite taille et devons faire face à de nombreux défis en ce moment, notamment l’augmentation des coûts de transport.


Récemment, par exemple, j’ai eu des inquiétudes avec notre diffuseur en Asie, qui s’interroge sur d’éventuels problèmes liés aux droits de douane. Même chose avec notre diffuseur spécifique pour Les Belles Lettres aux États-Unis. Il y a aussi, parfois, des soucis de censure : nos bandes dessinées peuvent être très explicites pour certains marchés, comme la Chine, où nos contenus fortement engagés sur le plan politique peuvent poser problème."



Jennifer Fulton, fondatrice de Bonjour Books aux États-Unis


Passionnée par la langue et la culture françaises, Jennifer Fulton a fondé la librairie Bonjour Books en 2014, dans la proche banlieue de Washington D.C. Elle a également mis en place le premier festival du livre francophone à Washington, avec l’aide de l’Alliance française.



Jenny Fulton


"Mon père a vécu à Paris et m’a transmis sa passion pour la France. Comme je souhaitais élever mon fils en français et que je peinais à trouver des livres en version originale, j’ai décidé d’ouvrir ma propre librairie francophone. Aujourd’hui, elle fait 60 m² et se situe dans une galerie marchande, près du lycée français, à Kensington, une petite ville de banlieue plutôt aisée. J’y travaille presque à plein temps, épaulée par trois collègues à temps partiel. Nous sommes une librairie généraliste, avec un accent particulier sur la littérature et la jeunesse. Nous vendons exclusivement des livres en français, à l’exception de quelques classiques et best-sellers - comme les guides de voyage - traduits du français vers l’anglais. La majorité de notre clientèle est composée de francophones et de francophiles, ce qui est logique étant donné la proximité de Washington. Environ 25 % de mes clients sont des expatriés, mais nous accueillons aussi des personnes bilingues ou apprenant le français.


J’apprécie beaucoup les auteurs francophones comme Gaël Faye ou Leïla Slimani que je conseille à mes clients. Nous mettons également en avant des auteurs locaux qui écrivent en français, comme Victor Dixen, auteur de la célèbre série Vampyria (Robert Laffont). Nous organisons de nombreuses lectures à la librairie, et en mars dernier, j’ai lancé le premier salon du livre francophone à Washington, en collaboration avec l’Alliance française et le Bureau du livre du Québec. Cet événement a réuni 18 auteurs locaux écrivant en français et 200 lecteurs, ce dont je suis vraiment très fière. J’ai récemment été contactée par la French Publishers’ Association, mais je ne connaissais pas encore France Livre. C’est l’AILF qui m’a proposé de participer aux Journées LFE pendant lesquelles j’ai constaté que nous, libraires francophones, partageons tous à peu près les mêmes problématiques, comme le transport ou la facturation des distributeurs. Rencontrer les éditeurs français venus présenter leurs coups de cœur m’aide beaucoup à faire mes choix, car je n’ai pas le temps de parcourir tous les catalogues."



Propos recueillis par Katja PETROVIC