L’édition au croisement des cultures - retour sur le Fellowship de Paris

Compte rendu

juin 2025

Pour sa 13ème édition, le programme s’est ouvert par une journée professionnelle au Syndicat national de l’édition (SNE). Objectif : offrir aux participants un panorama du marché du livre en France. Jacques Braunstein (Livres Hebdo) a dressé un tableau de l’édition littéraire française, soulignant une tendance marquante pour la rentrée 2025 : après les récits de guerre ou d’autres menaces extérieures, c’est désormais l’intime – la famille, ses non-dits et ses transmissions – qui inspire les auteurs.


Dans le domaine des sciences humaines, Sandrine Paccher (Humensis) a présenté une production éditoriale en pleine évolution, portée par un renouvellement des chercheurs et l’émergence de thématiques comme l’environnement, le féminisme, le genre ou les questions post-coloniales. Face à un public plus large et plus jeune, en quête de réponses à ses propres interrogations, les auteurs s’emparent de formes narratives plus incarnées, employant le "je", recourant à la fiction ou à la scénarisation.



Jacques Braunstein (Livres Hebdo) donne un aperçu de l'édition littéraire en France


Rencontres inspirantes avec les éditeurs parisiens


La visite chez Gallimard a marqué les esprits. Judith Rosenzweig, Gabrielle Lécrivain, Tiffany Gassouk (Fellow 2024) et Sophie Kucoyanis ont partagé les coulisses de leur travail. La collection Tracts, dédiée aux essais d’actualité accessibles au grand public, a particulièrement retenu l’attention. Les fellows ont également salué l’approche audacieuse de Charlotte Bréhat, jeune éditrice récemment nommée à la tête des éditions du Tripode. Son projet éditorial allie exigence littéraire et créativité, comme en témoigne l’Atlas inutile de Paris, véritable ode poétique aux lieux insolites de la capitale.


Accueillis avec générosité par Sophie Langlais, Ella Bartlett et Elvire Beaule, les participants ont ensuite découvert l’univers des Arènes et de l’Iconoclaste durant une heure et demie d’échanges nourris que beaucoup auraient aimé prolonger.

Marie Morvan, directrice des droits étrangers chez Odile Jacob, a présenté la riche histoire de cette maison de référence en sciences, dont le catalogue prestigieux compte plusieurs prix Nobel.



Ella Bartlett et Elisabeth Schmitten (fellow allemande) profitent des rencontres


Les visites aux éditions du Sous-Sol et Julliard ont prolongé la réflexion sur la vente des droits et la diffusion internationale. Deux titres phares ont été mis en avant : Mon vrai nom est Élisabeth d’Adèle Yon, véritable phénomène littéraire de ce début d’année, et L’homme qui lisait des livres de Rachid Benzine, déjà vendu dans plusieurs pays avant même sa sortie, sur le pouvoir des mots face à la violence à Gaza.


Chez Stock, Manuel Carcassonne et son équipe ont partagé leurs coups de cœur et évoqué les nouvelles stratégies de marketing face à l’évolution des usages de lecture, fortement influencés par les réseaux sociaux – un enjeu transversal.

Également au programme, la visite de la Librairie des Nouveautés, près de la place de la République. Son directeur, Simon Gémon, en poste depuis huit mois, a évoqué sans détour les défis de la librairie indépendante : entre positionnement éditorial dans un climat politique polarisé, contraintes économiques et diversification des publics.



Accueil chaleureux à la Librairie des Nouveautés 


Tout au long de la semaine, les fellows ont été accompagnés par Elisa Rodriguez (Humensis), dont la connaissance fine de l’édition française et la sensibilité interculturelle ont grandement facilité les échanges.


Le Paris Book Market : un rendez-vous qui s’impose


Pour clôturer cette semaine riche, les participants ont pris part au Paris Book Market, avec une moyenne d’une trentaine de rendez-vous répartis sur deux jours. Beaucoup ont salué le caractère chaleureux et efficace de cet événement, rapidement devenu un rendez-vous incontournable dans leur agenda professionnel. Dans un contexte international marqué par les replis nationalistes et les tensions géopolitiques, ce Fellowship a mis en lumière le rôle fondamental du livre comme vecteur de dialogue interculturel.



Katrin BOETHLING, Katja PETROVIC





Paroles d’éditeurs

 

Till Tannhäuser, éditeur de littérature étrangère chez Diogenes (Suisse)


Ivana Tomková, éditrice chez Argo (République tchèque)



Ivana Tomková et Till Tannhäuser


Ivana Tomková, éditrice de fiction et de non-fiction chez Argo à Prague, et Till Tannhäuser, éditeur de littérature étrangère chez Diogenes en Suisse, ont participé au programme Fellowship — une expérience riche d’enseignements et d’inspiration pour la suite de leurs parcours.


Ivana Tomková: "Grâce à ce Fellowship, nous avons eu un bel aperçu du paysage éditorial français. J’ai trouvé particulièrement intéressant le lien très étroit qu’entretiennent les éditeurs français avec les libraires. Ce fonctionnement est très différent de celui que nous connaissons en République tchèque, où la relation passe presque exclusivement par les représentants."


Till Tannhäuser : "C’est la même chose en Allemagne et en Suisse : nous ne sommes généralement pas en contact direct avec les libraires. Ce programme m’a également permis de mieux comprendre comment les éditeurs français découvrent et sélectionnent de nouveaux auteurs. Le principe des comités de lecture, auxquels participent parfois les auteurs maison – comme chez Gallimard ou Grasset – n’existe pas chez nous. Cela contribue certainement à garantir la qualité et la cohérence éditoriale d’un catalogue. En Allemagne, où les agences littéraires sont très présentes, le marché est largement structuré autour des agents. Il est devenu très rare de recevoir un manuscrit envoyé directement par un auteur."


Ivana Tomková : "Le marché tchèque est bien plus petit, nous nous connaissons presque tous. Les auteurs contactent directement les éditeurs, et je ne suis pas certaine qu’ils accepteraient de faire partie d’un comité de lecture collectif, mais je vais tout de même en parler à mon directeur à mon retour. Ce Fellowship m’a donné plein d’idées, et je compte bien garder le contact avec le groupe. Je vais d’ailleurs les inviter au Salon du livre de Prague cette année."


Till Tannhäuser : "Nous venons de pays et de maisons d’édition très différents, mais le lien s’est créé naturellement. Nous avons partagé nos lectures avec enthousiasme, sans esprit de compétition. C’était une expérience amicale, enrichissante qui m’a donné plein d’énergie pour la suite."



Elisa Rodriguez, responsable des droits chez Humensis



Elisa Rodriguez


Depuis la création du programme, les éditeurs étrangers sont accompagnés tout au long de leur séjour par un ou une fellow français(e). Cette année, c’est Elisa Rodriguez, chargée de droits pour les maisons de littérature générale et de sciences du groupe Humensis, qui a rempli ce rôle avec enthousiasme.


"J’ai été absolument ravie de participer à ce Fellowship. C’était une véritable opportunité d’accompagner ces éditeurs — certains que je connaissais déjà, d’autres que j’ai eu le plaisir de rencontrer pour la première fois — et d’échanger avec eux dans un cadre à la fois professionnel et très chaleureux. J’ai trouvé les présentations sur l’édition française passionnantes, tout comme la visite de la BnF, et les découvertes d’autres maisons que la mienne, ce qui m’a offert une perspective enrichissante sur notre métier. J’ai adoré passer la semaine à discuter de littérature, de notre passion commune pour l’édition, et de bien d’autres choses encore, avec des éditeurs venus des quatre coins du monde. J’en garde un souvenir merveilleux — et, je l’espère, de véritables amitiés durables !"


 

Propos recueillis par Katrin BOETHLING, Katja PETROVIC