L.I.R.E "Il ne suffit pas d’apporter des livres aux personnes fragilisées pour qu’elles se sentent légitimes de les lire"
BIEF : Vous travaillez à l’association L.I.R.E - Le livre pour l’insertion et le refus de l’exclusion. La vocation est dans le nom mais pourriez-vous nous expliquer votre travail au quotidien au sein de cet organisme ?
L.I.R.E : "L’association L.I.R.E a été créée suite à un travail coopératif entre deux services de la Ville de Paris, la Direction des Affaires Sociales et la Direction des Affaires Culturelles, afin de soutenir un rapprochement entre les équipements culturels et les structures de la Petite Enfance de la Ville. Depuis cette époque, son objectif est de prévenir l’échec scolaire, l’illettrisme et les exclusions en proposant des moments de partage autour de la lecture d’albums avec les familles les plus éloignées du livre et ce, dès la naissance. Aujourd’hui, nous sommes une équipe de 10 salariés et 20 bénévoles et nous intervenons dans des lieux très divers : dans les services à la Protection maternelle et infantile (PMI), crèches de centres sociaux, centres d’hébergement d’urgence, relais Petite Enfance, bibliothèques, hôpitaux, pouponnières, prison…"
BIEF : Comment lutter contre l’exclusion sociale grâce à la lecture ?
L.I.R.E : "Il ne suffit pas d’apporter des livres aux personnes fragilisées pour qu’elles aient l’envie, les capacités ou qu’elles se sentent légitimes pour les lire. C’est ainsi que nous nous sommes rendus compte de l’impact positif d’avoir des livres en langues étrangères et également des représentations ethniques et culturelles variées dans nos albums. Nos pratiques sont dites individualisées, car nous n’imposons jamais la lecture, nous sommes juste disponibles pour la partager, avec les enfants et les adultes qui prennent soin d’eux. Souvent les adultes se confient à nous sur leur rapport aux livres, parfois compliqué ou entravé dès l’enfance. Les albums, où l’image est prépondérante, permettent de rendre la lecture plus accessible, mais c’est surtout notre disponibilité en tant que médiateurs qui favorise l’appropriation de la lecture par les personnes les plus marginalisées. Beaucoup de nos médiations s’accompagnent de rendez-vous en bibliothèque, pour permettre aussi une prise de contact simple et efficace pour les familles avec un lieu parfois impressionnant de prime abord."
BIEF : Pour mettre en place vos projets, vous travaillez avec des équipes de développement locales qui ont pour mission d'améliorer les conditions de vie des habitants des quartiers populaires. Comment se passe cette collaboration ?
L.I.R.E : "Nous proposons notre expertise sur les tout-petits, l’accompagnement à la parentalité et l’accès à la lecture et nous intervenons principalement dans l’espace public, en pied d’immeuble... Chaque année, nous échangeons avec les chargés de mission responsables de l’axe éducation et culture. Nous nous coordonnons avec les autres associations, avec les acteurs institutionnels du quartier pour proposer une offre cohérente en matière d’accès à la lecture dans des périmètres éloignés des bibliothèques. L’idée est de partir des retours des terrains, des habitants principalement, pour savoir où et comment intervenir auprès d’eux."
Une "librairie par terre", rue de Crimée dans le 19e arrondissement de Paris
BIEF : En 2022, c’est avec eux et le soutien de la CAF que vous avez mis en place la création du "chariot multilingue mobile" contenant des livres jeunesse pour les rendre accessibles aux jeunes et leurs parents dans les quartiers au nord de Paris. Combien de chariots de lecture y a-t-il ? Quel type de livres contiennent-ils précisément ? Quelles sont les langues représentées ?
L.I.R.E : "En 2022 nous avons identifié un quartier aux portes de Paris, éloigné des bibliothèques et offres culturelles mais avec l’avantage de posséder un vivier d’habitants de langues maternelles différentes ; cela a été la colonne vertébrale du projet. Nous voulions mettre à disposition un fonds de livres dans différentes langues, capable de naviguer partout, de se déployer aussi bien à l’extérieur, dans la rue, les cours d’école, mais aussi à l’intérieur, comme dans les crèches. L’année suivante, notre association a développé un deuxième chariot multilingue mobile dans le 13e arrondissement. Ainsi, nous en avons un tout au nord et un autre tout au sud de Paris. Les chariots contiennent essentiellement des albums jeunesse destinés aux enfants de 1 à 10 ans. Chaque chariot peut contenir environ 200 ouvrages. Aujourd’hui nous avons environ 66 langues représentées mais certaines, comme les langues d’Afrique subsaharienne, les langues indo-pakistanaises et indo-iraniennes sont beaucoup plus difficiles à trouver."
BIEF : Comment recevez-vous ces livres et quels sont ceux que vous recherchez en ce moment ? Comment sélectionnez-vous les ouvrages ?
L.I.R.E : "Il est important pour nous d’acheter nos livres en librairie indépendante, pour faire travailler l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre. Dans nos critères d’acquisition, nous accordons une grande place à la qualité des ouvrages (la musicalité du texte, la qualité de l’image…) et à la diversité de nos fonds de livres (genres, formats, styles graphiques, thématiques, représentations ethniques et culturelles…) afin de permettre une expérience littéraire plus accessible et qualitative pour les personnes accueillies, quels que soient leur âge, leur rapport à la lecture et leurs conditions d’existence."
BIEF : Comment les éditeurs français pourraient-ils vous aider pour contribuer à ce projet ? Comment devenir partenaire de votre association ?
L.I.R.E : "Les éditeurs peuvent nous envoyer leurs services de presse d’albums en français, destinés aux enfants de 1 à 10 ans pour leur donner une deuxième vie. Les dons des éditeurs nous permettent également de compléter nos fonds selon les besoins recensés sur un territoire en particulier. Enfin, adhérer à l’association et suivre ses actualités nous soutiendrait fortement, dans un contexte compliqué pour le monde associatif."
Propos recueillis par Katrin BOETHLING et Katja PETROVIC