Foire internationale du livre de Pékin : davantage de visiteurs et d’exposants
Les professionnels exposants, chinois comme étrangers, s’accordent sur le fait que cette deuxième édition depuis la pandémie était beaucoup mieux organisée et plus professionnelle encore, avec plus de 1 700 exposants de 80 pays et régions, soit une augmentation de 7 % des exposants et de 12 % des pays par rapport à 2024.
De nombreux auteurs chinois mais également étrangers ont fait le déplacement. Côté français, Hervé Tullet a rencontré sur le stand de son éditeur chinois un franc succès auprès des enfants et de leurs parents. Il a également inauguré une très belle exposition, dans un centre commercial prisé des Pékinois, regroupant tout son travail et laissant la part belle aux enfants créatifs.
Un peu plus de 1 000 titres ont trouvé place sur les étagères du stand France Livre (90 m²). Contrairement à l’an passé où une douzaine d’éditeurs s’étaient déplacés, seuls 5 professionnels représentant une vingtaine de maisons d’édition se sont rendus à Pékin : Iulian Miron (éditions EHESS), Annie Li (Bayard), Chiara Rinaldi (Glénat), Yan Dong (Mediatoon à Shanghai), Sally Mak (agente basée à Hong Kong travaillant pour Casterman Flammarion jeunesse). Les statistiques de l’édition française pour 2024 montrant une forte baisse des cessions de droits avec la Chine (plus de 30 % pour l’ensemble des secteurs), les éditeurs français sont devenus plus prudents.
Les influenceurs, véritables "casse-tête" pour les éditeurs
La montée en puissance du "short-form video e-commerce" pratiqué sur les plateformes de Douyin (TikTok en Chine) et Xiaohongshu – qui sont devenues des canaux majeurs pour la promotion et la vente de livres –, a entraîné un changement significatif dans les stratégies de marketing. Le revers de la médaille pour les éditeurs chinois, notamment pour ceux qui publient de la jeunesse, est une perte de contrôle sur leurs publications à différents niveaux :
"Juste pour exemple, plus de 15,000 livres de Hervé Tullet ont été vendu durant 4 live streamings par 2 influenceuses, des sessions qui durent entre 30-45min, on ne connait pas le prix exact des livres mais en tout cas la quantité est là et cela résume bien l'efficacité de ces nouveaux canaux de vente", témoigne Annie Li, responsable des droits jeunesse chez Bayard.
L'exposition d'Hervé Tullet à Pékin
On peut acheter des livres via TikTok, avec des remises pouvant aller jusqu’à 80 % ! Les éditeurs sont contraints d’y être présents, malgré les pertes importantes que cela engendre.
L'influence du commerce sur TikTok risque de détruire toute l’industrie dont le secteur jeunesse est déjà fort endommagé en raison des "remises" importantes faites par les influenceurs. De nombreux analystes suggèrent que les éditeurs reprennent le contrôle en encadrant et collaborant mieux avec eux. Plus facile à dire qu’à faire car pour le moment, le gouvernement chinois reste muet face aux demandes de réglementation souhaitées par les maisons d’édition locales.
Autre difficulté pour l’édition jeunesse, la baisse de la natalité. Avec environ sept millions de naissances annuelles ces dernières années, contre le double avant la pandémie, cette baisse a également un impact direct sur la demande vers des titres pour des groupes d'âge plus avancé (sept ans et plus).
Les sciences humaines à l’honneur
Un intérêt croissant se dessine pour la recherche universitaire contemporaine sur la société, la politique et l'économie chinoises, avec des collaborations entre universitaires et éditeurs. Organisé par Beijing Yanshan Publishing House et Springer Nature, un symposium accompagné d’une cérémonie de signature s’est tenu pour leur collaboration sur la série "Science-Humanities". Cette série vise à explorer la nature de la science à travers le prisme de diverses civilisations, ouvrant une nouvelle voie pour la recherche mondiale en science et en sciences humaines. Wiley et Zhejiang University Press ont par ailleurs signé un protocole d'accord pour une collaboration de revues académiques.
La Chine reste, malgré cette baisse significative de cessions de droits, un marché important où il faut être présent. Afin de mieux fédérer les éditeurs français pour ce déplacement, France Livre envisage de programmer cette foire internationale tous les deux ans, en alternance avec la Foire du livre de jeunesse et BD de Shanghai.
Christine KARAVIAS
Paroles de professionnels
Chiara Rinaldi, responsable des droits chez Glénat
Chiara Rinaldi
"La Foire du livre de Pékin m’a permis de rencontrer une douzaine d’éditeurs chinois spécialisés en jeunesse, bande dessinée et beaux livres. Tous les rendez-vous avaient été organisés par notre agente, avec laquelle nous travaillons en exclusivité. Se concentrer sur un seul pays lors d’un salon est une excellente formule, car cela permet d’avoir une vision plus approfondie du marché et de ses acteurs, surtout lorsqu’on s’occupe de catalogues très variés.
Les éditeurs se sont montrés intéressés par nos propositions. Je pense que cela pourrait aboutir à des résultats concrets. Le marché reste toutefois fragile, notamment en ce qui concerne les albums jeunesse. Cela s’explique bien sûr par la crise du pouvoir d’achat, mais certains éditeurs ont également mentionné la baisse de la natalité. Les jeunes n’ont souvent pas les moyens de fonder une famille, et leurs aspirations diffèrent de celles des générations précédentes. Par ailleurs, ils n’ont pas envie d’exposer leurs enfants à un système éducatif très compétitif, qu’eux-mêmes ont connu.
Le secteur de la bande dessinée semble se porter un peu mieux, avec un intérêt croissant de la part des adultes et des jeunes adultes, surtout pour la fiction, la fantasy et les ouvrages richement illustrés. Il semble y avoir un besoin d’évasion et de divertissement, ce qui n’est pas surprenant dans un contexte de crise. Un éditeur de BD m’a longuement parlé de TikTok comme d’un véritable problème. En Chine, on peut acheter des livres via ce réseau social, avec des remises pouvant aller jusqu’à 80 % ! Les éditeurs sont contraints d’y être présents, malgré les pertes importantes que cela engendre."
Iulian Miron, responsable des droits aux éditions de l’EHESS
Iulian Miron
"Pour l’École des hautes études en sciences sociales, l’édition 2025 de Beijing Book Fair représente la troisième participation et probablement la plus fructueuse. Travaillant avec une douzaine d’éditeurs de non-fiction, notamment en humanités et sciences sociales, nous sommes peut-être sur le point d’attirer l’intérêt de deux-trois maisons sur le fonds historique de notre catalogue, qui a construit notre réputation au-delà des classiques plus récents en sciences sociales, réclamés par nos clients sous l’appellation raccourcie de big names.
Satisfaits de constater que l’engouement pour nos petits volumes de Michel Foucault, Raymond Aron, Claude Lévi-Strauss, Pierre Bourdieu perdure depuis 2013, nous discutons désormais des textes de Lucien Febvre, Marc Bloch, Georges Duby, Fernand Braudel ou Ernest Labrousse et répondons à des questions pointues (agriculture, nouvelles technologies ou nouvelles énergies), issues d’articles de nos journaux académiques, susceptibles de devenir aussi des livres.
Des éditeurs comme Central Compilation and Translation recherchent activement des textes innovants en sciences sociales, dans une optique "occidentale", assez peu commune aux autres maisons chinoises que nous connaissons, bien établies dans le segment SHS depuis, pour certaines, plus des cinquante ans que les éditions de l’EHESS fêtent en 2025 : China Social Sciences Press, Commercial Press, Yilin Press, CITIC Press, Peking University, Renmin University Press, Jiangsu People's Press, Horizon Books et quelques autres presses universitaires. Nous poursuivons les pistes créées lors de ces rencontres et comptons retourner en Chine. Pour nous, cet effort porte ses fruits."
Propos recueillis par Christine KARAVIAS
PAYS